La Guadeloupe et la Martinique affichent parmi les taux de cancer de la prostate les plus élevés au monde, et le chlordécone y est largement utilisé depuis plus de 20 ans.
Tiburts Cleon a commencé à travailler dès son adolescence dans les vastes plantations de bananes de Guadeloupe. Pendant cinq décennies, il a peiné dans les champs, passant de longues heures sous le soleil des Caraïbes. Puis, quelques mois après sa retraite en 2021, on lui a diagnostiqué un cancer de la prostate, une maladie qui a touché nombre de ses collègues.
Le traitement et l'opération de Kleon ont été une réussite, et il s'estime chanceux d'avoir guéri. Cependant, les conséquences à vie d'une prostatectomie, comme l'incontinence urinaire, l'infertilité et les troubles de l'érection, peuvent bouleverser une vie. De ce fait, nombre de ses collègues éprouvent de la honte et hésitent à parler publiquement de leurs difficultés. « Ma vie a basculé lorsque j'ai appris que j'avais un cancer de la prostate », a-t-il déclaré. « Certaines personnes perdent le goût de vivre. »
L'émotion était vive parmi les travailleurs. Dès que le sujet du chlordécone est abordé, la colère gronde contre les responsables : le gouvernement, les fabricants de pesticides et l'industrie bananière.
Jean-Marie Nomertain a travaillé dans les plantations de bananes de Guadeloupe jusqu'en 2001. Aujourd'hui, il est secrétaire général de la Confédération générale du travail de l'île, qui représente les travailleurs des plantations. Il impute la crise au gouvernement français et aux producteurs de bananes. « C'était un empoisonnement délibéré de l'État, et ils étaient parfaitement conscients des conséquences », a-t-il déclaré.
Les archives montrent que dès 1968, une demande d'autorisation d'utilisation du chlordécone fut refusée, des études ayant démontré sa toxicité pour les animaux et le risque de contamination environnementale. Après de longues discussions administratives et plusieurs enquêtes, le ministère revint finalement sur sa décision et approuva l'utilisation du chlordécone en 1972. Ce produit fut ensuite utilisé pendant vingt ans.
En 2021, le gouvernement français a inscrit le cancer de la prostate sur la liste des maladies professionnelles liées à l'exposition aux pesticides, une petite victoire pour les travailleurs. Il a créé un fonds d'indemnisation des victimes et, à la fin de l'année dernière, 168 demandes d'indemnisation avaient été approuvées.
Pour certains, c'est trop peu, trop tard. Yvon Serenus, président du Syndicat des travailleurs agricoles martiniquais empoisonnés par les pesticides, parcourt la Martinique pour rendre visite aux ouvriers agricoles malades. À une heure de route de Fort-de-France, la capitale, jusqu'à Sainte-Marie, les bananeraies s'étendent à perte de vue, rappelant cruellement que l'industrie bananière continue d'affecter la terre et ses habitants.
L'employé que Silen rencontra cette fois-ci était un jeune retraité. Il n'avait que 65 ans et respirait grâce à un respirateur. Alors qu'ils commençaient à converser en créole et à remplir des formulaires, il décida rapidement que c'était trop d'efforts. Il désigna une note manuscrite sur la table. Celle-ci énumérait au moins dix affections, dont un « problème de prostate » qui lui avait été diagnostiqué.
Nombre des travailleurs qu'il a rencontrés souffraient de diverses maladies, et pas seulement d'un cancer de la prostate. Bien que des recherches existent sur d'autres effets du chlordécone, comme des problèmes hormonaux et cardiaques, elles restent trop limitées pour justifier une indemnisation plus importante. C'est un nouveau sujet de discorde pour les travailleurs, notamment les femmes, qui se retrouvent sans rien.
L'impact du chlordécone dépasse largement le cadre des travailleurs des plantations. Ce produit chimique contamine également les populations locales par le biais de leur alimentation. En 2014, on estimait que 90 % des habitants présentaient du chlordécone dans le sang.
Pour réduire l'exposition, il est conseillé d'éviter de consommer des aliments contaminés, cultivés ou pêchés dans des zones polluées. Ce problème nécessitera des changements de mode de vie à long terme, et aucune solution n'est en vue, car le chlordécone peut contaminer les sols pendant près de 600 ans.
En Guadeloupe et en Martinique, vivre de la terre n'est pas qu'une simple habitude, mais une pratique profondément ancrée dans l'histoire. Les jardins créoles, témoins d'une longue tradition insulaire, fournissent à de nombreuses familles nourriture et plantes médicinales. Ils illustrent l'autosuffisance qui a vu le jour chez les populations autochtones et qui s'est perpétuée au fil des générations d'esclaves.
Date de publication : 1er avril 2025



