L'objectif de cette étude est de fournir des données surinsecticiderésistance à la prise de décision concernant les programmes de gestion de la résistance au Togo.
La sensibilité d’Anopheles gambiae (SL) aux insecticides utilisés en santé publique a été évaluée selon le protocole de test in vitro de l’OMS. Les bioessais de résistance aux pyréthroïdes ont été réalisés conformément aux protocoles de test en flacon du CDC. L’activité des enzymes de détoxification a été testée en présence des synergistes pipéronyl butoxyde, SSS-phosphorothioate et éthacrine. L’identification et le génotypage spécifiques de l’espèce de la mutation kdr chez Anopheles gambiae SL ont été effectués par PCR.
Les populations locales d'Anopheles gambiae sl ont présenté une sensibilité totale au pirimiphos-méthyl à Lomé, Kowie, Aniye et Kpeletutu. La mortalité atteignait 90 % à Bayda, indiquant une probable résistance au pirimiphos-méthyl. Une résistance au DDT, au benzodicarbe et au propoxur a été observée sur tous les sites. Des niveaux élevés de résistance aux pyréthroïdes ont été constatés, les oxydases, les estérases et les glutathion-S-transférases étant les enzymes de détoxification responsables de cette résistance, d'après les tests de synergie. Les principales espèces détectées étaient Anopheles gambiae (ss) et Anopheles cruzi. Des fréquences élevées de l'allèle kdr L1014F et de faibles fréquences de l'allèle kdr L1014S ont été détectées sur tous les sites.
Cette étude démontre la nécessité d’outils supplémentaires pour renforcer les interventions existantes de lutte contre le paludisme à base d’insecticides (IRS et LLIN).
L’utilisation d’insecticides est un élément important des programmes de lutte antivectorielle contre le paludisme en Afrique [1]. Cependant, l’émergence de résistances aux principales classes d’insecticides utilisées dans le traitement par moustiquaires imprégnées et la pulvérisation intradomiciliaire d’insecticides à effet rémanent (PIIR) nous oblige à reconsidérer l’utilisation de ces produits et la gestion de la résistance des vecteurs [2]. L’émergence de résistances aux médicaments a été signalée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment au Bénin, au Burkina Faso, au Mali [3, 4, 5] et surtout au Togo [6, 7]. Des études récentes ont montré que l’utilisation de synergistes et de combinaisons d’insecticides accroît la sensibilité des vecteurs du paludisme dans les zones présentant une forte résistance aux pyréthroïdes [8, 9]. Afin de garantir la pérennité des stratégies de lutte, l’intégration systématique de la gestion de la résistance dans toute politique de lutte antivectorielle devrait être envisagée [2]. Tout pays devrait soutenir la mise en œuvre de programmes de gestion de la résistance par la détection de cette dernière [10]. Conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) [10], la gestion de la résistance repose sur une approche en trois étapes : (1) l’évaluation de la sensibilité des vecteurs aux insecticides, (2) la caractérisation de l’intensité de la résistance et (3) l’évaluation des mécanismes physiologiques, en portant une attention particulière à l’efficacité du synergiste pipéronyl butoxyde (PBO). Au Togo, la première étape, l’évaluation de la sensibilité des vecteurs du paludisme aux insecticides, est réalisée tous les deux à trois ans sur les sites sentinelles du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP). L’intensité de la résistance et l’efficacité des deux dernières étapes (à savoir les potentialisateurs pipéronyl butoxyde (PBO), S,S,S-tributyl trisulfate phosphate (DEF) et acide éthacrynique (EA)) n’ont pas fait l’objet d’études approfondies.
L’objectif de cette étude est d’aborder ces trois aspects et de fournir au Programme national de lutte contre la résistance aux médicaments (PNLM) des données fiables pour prendre des décisions sur la gestion de la résistance au Togo.
Cette étude a été menée de juin à septembre 2021 sur des sites sentinelles du Programme national de lutte contre la peste porcine africaine (PNLPA) sélectionnés dans trois districts sanitaires du sud du Togo (Figure 1). Cinq sites de surveillance du PNLPA ont été sélectionnés en fonction de leurs caractéristiques géographiques (différentes zones sanitaires) et environnementales (abondance des vecteurs, gîtes larvaires permanents) : Lomé, Bayda, Kowie, Anyère et Kpeletoutou (Tableau 1).
Cette étude montre que les populations locales de moustiques Anopheles gambiae du sud du Togo sont résistantes à plusieurs insecticides majeurs utilisés en santé publique, à l'exception du pirimiphos-méthyl. Des niveaux élevés de résistance aux pyréthroïdes ont été observés sur le site d'étude, possiblement associés à des enzymes de détoxification (oxydases, estérases et glutathion-S-transférases). La mutation kdr L1014F a été détectée chez les deux espèces apparentées Anopheles gambiae ss et Anopheles kruzi, avec des fréquences alléliques variables mais élevées (> 0,50), tandis que la mutation kdr L1014S était très rare et n'a été retrouvée que chez Anopheles cruzi. Les synergistes PBO et EA ont partiellement restauré la sensibilité aux pyréthroïdes et aux organochlorés, respectivement, sur tous les sites, tandis que le DEF a augmenté la sensibilité aux carbamates et aux organophosphorés sur tous les sites, sauf à Anye. Ces données pourraient aider le Programme national de lutte contre le paludisme du Togo à développer des stratégies de lutte antivectorielle plus efficaces.
Date de publication : 23 décembre 2024



